Planet Arrakis

Jeux de rôle, jeux de plateau, prenez ce qui vous plait…

Archive pour Théorie du jeu

On a gagné !

 

40 ans après la création du jeu de rôle, et un premier succès initial (les 80s) suivi d’années de disette, le jeu de rôle revient à la mode… Les années noires, dues aux scandales injustement attribuées à notre passion (Témoin N°1, Mireille Dumas), à la déferlante Magic ! qui détruisit éditeurs et joueurs, et au jeu vidéo qui vampirisa univers et règles semblent maintenant derrière nous.

Car depuis, le jeu vidéo s’est essoufflé, le jeu de plateau a explosé (1000 nouveaux jeux seront lancés en 2019) et a emmené dans ses soutes Papy JDR. Qui a su rajeunir en se simplifiant (1 volume A5 de 150 pages avec règles, univers, et campagnes remplaçant avantageusement les 1000 pages du Players’ Handbook, Dungeon Master’s Guide, Monster Manual, World of Greyhawk …) mais aussi en trouvant un business model à base de quinquas friqués prêts à Kickstarter

A côté de cela la SF et la Fantasy sont devenues Culte : les geeks coincés fans de Star Wars, Marvel et Strange, et du Seigneur des Anneaux, ont cinquante ans aujourd’hui et sont aux commandes…

La consécration a un signe très fort : on en parle dans Le Point. Oui, le journal de votre père et de votre grand père… c’est là : https://amp.lepoint.fr/2333246

Jouer vite !

 

On n’a pas toujours la possibilité de se lancer dans une campagne épique, qui va durer des dizaines de parties et occuper vos soirées pendant de longs mois, et pourtant, on a ses petites habitudes, ses envies de respecter des règles, d’avoir des combats épiques, de jouer réaliste, de rédiger un résumé détaillé des aventures, etc.

Pour autant, en renonçant à quelques-uns de ces aspects, vous pouvez y gagner beaucoup… et jouez plus ! Car c’est forcément moins de travail de préparation pour le MJ, et du temps de jeu en plus pour les joueurs…

Quelques astuces donc pour accélérer vos parties, tirés de divers systèmes de jeu ou de l’expérience :

« Vous m’en rendrez compte,
espèce de brute ! »

1. Ne gérez pas les points de vie des PNJ… Mais faites semblant !
Dans Les Secrets de 7ème Mer, il y a trois sortes d’adversaires : les Brutes, qui s’écroulent/s’enfuient au premier combat, les Hommes de Main, qui doivent représentent une opposition réelle, et les Grands Méchants qui doivent proposer un combat final mémorable. Inspirez-vous-en ! Ne tuez pas systématiquement les adversaires, mais, en fonction de l’histoire, décrivez plutôt leur état : légèrement blessé, gravement blessé, ton coup précis le touche en pleine tête, il est mort, etc. Gardez les règles seulement pour les Grands Méchants.

2. Ne tenez pas compte du temps
Gérer un calendrier est extrêmement pénible, long et… dangereux. Car les joueurs (qui ne vont pas le gérer, eux !) ne se priveront pas de déceler les invraisemblances : comment les PNJ ont-ils fait pour rejoindre Minas Tirith en trois jours, alors qu’il nous en fallu cinq ? etc. N’hésitez pas à inverser la question : demandez aux joueurs quelle heure il est, quel jour on est, combien de temps ils comptent rester dans cet hôtel d’Arkham, etc. Cela va détendre cet enjeu avec vos joueurs, et favoriser votre improvisation. Vous n’aurez plus à vous demander si c’est réaliste que les adorateurs du Chaos puissent franchir la Passe du Feu Noir en une seule semaine…

3. Ne donnez pas de caractéristiques aux PNJ*
Prenez le système de La Nuit des Chasseurs, le Corpus Mechanica de Yno, basé sur des jets de D6. Pour les PNJ, c’est très simplifié : soit le PNJ est FAIBLE, il a 2 dés, soit il est MOYEN, il a 3 dés, soit il est FORT, il a 4 dés. Il y a plein de nuances envisageables à ce système. Vous pouvez l’adapter aux personnages, en fonction de leurs actions : Laura Ingalls participe à un concours de pâtisserie (4D) mais elle doit bientôt se battre avec Mrs Olson (2D). Vous pouvez aussi accorder des bonus (+5, 0, -5) ou prendre le système de DD5 Favorable/Défavorable. Le PNJ est fort, vous jetez 2d20 et gardez le meilleur dé, il est faible, vous jetez 2d20 et gardez le pire…

« De l’argent ? Mais vous êtes d’un vulgarité, Monsieur ! »

4. Ne pas tenir compte de l’argent/du matériel 
Dans la plupart des parties, ça ne sert à rien. Les joueurs ont toujours de quoi s’acheter ce qu’ils veulent… ou alors c’est trop cher. Vous pouvez aussi adapter le système de Château Falkenstein, où l’argent est… une compétence ! Si le personnage est riche, le jet de compétence est facile et le personnage peut s’acheter ce qu’il souhaite. S’il est pauvre, c’est plus difficile. Le Grümph propose la même chose pour le matériel dans le dK System. Quand la question se pose, jet de Matériel pour vérifier qu’on dispose bien de l’outil souhaité. Sinon il n’a pas été acheté, il a été oublié/perdu/volé, etc.

 

« Un plan de tombe ? Quelle horreur !! »

5. Pas de plan
Les plans font perdre du temps, et créent les mêmes polémiques que le temps : « comment peut-il me tirer une flèche alors qu’il y a un arbre entre nous ? » Si vous êtes dans un univers connu (Western, par exemple) les descriptions suffisent : « Vous êtes dans Main Street, juste en face du saloon ». Sinon, une belle image de Pinterest suffira

Une aide de jeu qui devient…

… un résumé !

6. Préparer des aides de jeu qui serviront de résumé
Pour La Nuit des Chasseurs, j’ai fait des familles de PNJ (« les commerçants », « le saloon », etc). Il ne me reste plus qu’à copier/coller/couper et d’ajouter une légende pour faire un bref résumé…

Tous ces conseils dépendent évidemment de ce que vous faites jouer : l’argent, par exemple, peut avoir une importance considérable dans votre scénario… Le timing peut être crucial : bombe qui menace d’exploser, PJs qui risquent d’arriver trop tard… Définissez donc au départ ce qui est vraiment important dans votre scénario, ce que vous voulez vraiment faire jouer, ce que vos joueurs aiment, et vous en déduirez aisément ce qu’il vous reste à gérer avec précision…

 

*Mais donnez-leur toujours un nom, un portrait (ou au moins une description), et une adresse, comme le conseille John Wick dans son Dirty MJ.

 

Conseils pour Maitre de Jeu, même si vous n’êtes pas paranoïaque

 

En 1984, West End Games sort un jeu incroyable, Paranoïa, qui change en effet avec tout ce qui se fait en matière de JDR à l’époque (D&D, L’Appel de Cthulhu, etc.) et qui propose aussi un univers incroyable : le monde ubuesque et paranoïaque du Complexe Alpha.

Vue extérieure du Complexe Alpha, fournie par l’Ordinateur

Dans ce monde futuriste, l’ordinateur a pris le pouvoir et les personnages subissent chaque jour son arbitraire. Au-delà du jeu de rôle, c’est probablement meilleure dystopie écrite sur le sujet.

Mais pour le jeu de rôle, c’est aussi un jeu formidable, qui intégrait déjà nombre de nouveautés : les arbres de compétences, les points de trahison, les enjeux fixés au personnage dès sa création, etc. mais même pour le Maître de Jeu, il donnait déjà des conseils de bon sens tout à fait révolutionnaires. La preuve : ils sont encore valables aujourd’hui :

  1. Ne laissez pas la partie s’enliser
  2. Arrangez-vous pour que les joueurs s’amusent
  3. Faites tout pour que les joueurs y croient
  4. Donnez l’impression d’être impartial
  5. Entretenez la peur, l’ignorance, et la suspicion
  6. Lancer continuellement les dés
  7. Jouer des personnages intéressants
  8. Contentez-vous du minimum d’entretiens privés

Pas d’accord ?

Monster of the Week : un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour le rôliste

Depuis quelques mois, je me suis intéressé aux jeux Propulsés par l’Apocalypse (PbtA). Autant au cours des parties, je ne m’intéresse plus aux systèmes de jeu, ni comme joueur, ni comme maître de jeu, autant ça me passionne sur le plan théorique*. Et si je suis la scène indé/narrativiste, elle m’énerve aussi par ses excès et ses thèmes chichiteux.

Mais comme ces jeux sont édités en petite quantité, il est difficile de trouver chaussure à son pied en boutique, même s’il y a des thèmes sympas (vikings, post-apo, etc.) Toujours est-il qu’il semble difficile de mettre tout seul à ces jeux sans être guidé.

Mais voilà qu’on me propose sur un plateau une initiation à Monster of the Week.

C’est Go Tyborg qui s’y colle, de l’assoce GN Le Masque et la Tour, et de la partie de Vampire La Brume peut masquer le Soleil de l’ami Belphegues. On ne va pas refuser donc, même si le thème ne m’intéresse absolument pas (Buffy contre les Vampires).

Et c’est une révélation. Comme si on était confronté à l’état supérieur du jeu de rôles. Comme si ces jeux PbtA avaient intégré toute l’histoire du jeu depuis 1974. On sait que le cinéma se nourrit du cliché ; les films de genre piochent dedans. Le jeu de rôle fait pareil. Mais jamais le jeu de rôle ne s’en était totalement emparé dans les règles. C’est chose faite ici.

Apocalypse World, le jeu post-apo de Vincent Baker qui a tout lancé 

Un seul objectif pour les jeux PbtA : produire une histoire qui correspond à l’ambiance voulue. On joue à Apocalypse World, on va jouer du Mad Max ou du Fallout, une histoire forcement désespérée.  On joue à  Monster of the Week, on va jouer à Buffy contre les Vampires et pas autre chose. il y aura de l’action, de la comédie, des histoires d’amour…  Ni le maître du jeu, ni les joueurs ne feront quelque chose contre ce canon esthétique. Ça a l’air d’un détail, mais qui n’a jamais souffert du contraire, en tant que joueur ou en tant que MJ ? Qui n’a jamais vu à un joueur prendre un prêtre juste pour les sorts de soins, sans le voir prier son Dieu une seule seconde ? Un voleur qui ne vole jamais, mais qui se comporte plutôt comme un paladin ? Une histoire héroïque, façon Seigneur des Anneaux, ridiculisée par des PJs soudards à la Warhammer ?

Tout cela transpire dans les règles de résolution PbtA. Le maître du jeu ne lance pas de dé. À Donjons et Dragons, le MJ les lance par paquets de dix, mais en réalité, il bidouille avant/pendant/après pour « produire » des résultats conformes à l’effet narratif voulu. Il ajoute avant des bonus pour équilibrer ou déséquilibrer, et triche pendant si le résultat ne nourrit pas bien l’histoire. Il n’applique vraiment le hasard rarement, quand ça ne lui pose aucun problème.

Ici, les joueurs ne lancent des dés que pour des actions extraordinaires – les Manœuvres, ces fameux clichés de votre personnage – auquel s’ajoute un bonus de Charme, de Cool, de Futé… Mais quand le joueur lance les dés, même s’il réussit, il fait également avancer l’Adversaire, ce monstre que joue le maître de jeu, contraint lui aussi de suivre la cohérence esthétique du scénario. Si l’on rate un jet de fouille de la scène de crime, le Monstre apprend que nous sommes à sa recherche, et le MJ doit faire avancer l’histoire…

Autre exemple : pas besoin de caractéristiques type Force, Dextérité ou Intelligence. Si on joue un parano geek, à quoi ça sert d’en faire un balèze ? À part au joueur minimaxeur, la maladie infantile du JDR, c’est-à-dire le gars qui veut le beurre, l’argent du beurre, et le cul de la crémière : si on joue un geek dans Buffy, c’est forcément, selon le cliché en vigueur, un gars nul en sport mais très intelligent. De même, je joue un parano, donc c’est quelqu’un qui ne fait pas confiance aux autres. Si je joue un professionnel, il ne va pas être nul dans son métier, etc., etc. Parce que si on veut jouer ça, veut dire en réalité qu’on n’est pas en train de jouer à Buffy contre les Vampires, mais à quelque chose de plus réaliste. C’est un autre jeu.

En effet, dès la création de personnages, le joueur doit intégrer totalement le concept qu’il a choisi : autre exemple de maturation de quarante-cinq ans de jeu de rôles. Fini le travail d’équilibrage de groupe (« dis donc, Fabien, on a déjà un voleur, un guerrier, deux magos… tu voudrais pas prendre une prêtresse ? »D’abord, le joueur n’a le choix qu’entre 12 archétypes (l’Initié, le Professionnel, le Magicien, l’Epouvantail, le Parano, le Vengeur, l’Elu, le Vaurien, le Divin, l’Expert, le Monstre, l’Ordinaire), qui émulent parfaitement l’ambiance Buffy. Une fois choisi, personne d’autre ne peut le prendre.

Jimmy Burrows, « Smarty », le parano

J’ai choisi Le Parano, et si je peux le personnaliser (apparence, équipement, histoire), mon personnage ne ressemblera jamais à un Professionnel. Et il n’y aura pas d’autre Parano, ce qui me garantit d’être la star de la partie, de ce point de vue-là. Je dispose de ce point de vue de Manœuvres, la grande originalité des jeux Propulsés par l’Apocalypse. Ce sont comme des Maxi-compétences, que seul le Parano possède (il y a un jeu de Manœuvres de base partagées par tout le monde, comme le combat). Mon personnage en a 3 : j’ai des Amis à la bibliothèque (l’ancêtre d’internet), je vais Etablir forcément des liens conspirationnistes, et avec Regarder, tout colle j’arriverai à manipuler les gens uniquement sur mes intuitions délirantes.

« Regarde, Scully, tout colle ! »

La première inquiétude (et j’avoue, c’était la mienne !), c’est de devenir une marionnette, et de permettre au MJ de diriger totalement les actions du joueur. Dans les faits, ce n’est pas du tout le cas. C’est plutôt comme si un metteur en scène faisait de la direction d’acteur et vous guidait dans l’interprétation de votre personnage : « stay in character, Paul ! ». Me voilà donc « Smarty » (genre Rob Lowe dans St Elmo’s Fire). Comme les  Manœuvres, pour mes caractéristiques, j’ai peu de choix (inévitablement j’ai du Charme (+1), je suis Cool (+1), je suis Futé (+2), pas Coriace (-1), et pas trop Bizarre(0)).

Sharon, une… ??

Styne, mon compagnon du soir, joue un personnage très mystérieux, la belle Sharon, au regard glacial. Elle ne joue pas du tout comme moi (j’ai vite mis cartes sur table) mais le système fonctionne également.

Quand la partie commence, on retombe sur ses pieds rôlistes habituels : la partie jouée est classique : mystère à la fac, love stories, gamins paumés et meurtre atroce… Sauf qu’ici, on construit aussi en live : on invente avec le MJ (une idée déjà présente depuis quelque temps dans le JDR, mais très développée ici). Où habites-tu ? Comment s’appelle la bibliothécaire ?  Pourquoi Moses (un PNJ) a été condamné par le passé ? Les joueurs comme le MJ peuvent répondre à ces questions… Ça renforce non seulement l’immersion du joueur, mais ça accélère aussi grandement la partie. Pas de temps mort, le MJ ne cherche pas dans ses notes, ne génère pas des persos au milieu de la partie, etc. C’est l’ensemble de la table qui est le dépositaire de la fiction produite, et c’est très gratifiant pour tout le monde, MJ compris…

Tout ça pour dire que Monster of the Week est très excitant (et qu’on a très envie de le faire jouer, même si le rôle du MJ n’a pas l’air simple). Mais en même temps, ça ne sert pas à tout faire. Impossible à mon sens de faire jouer quelque chose qui n’est pas inscrit dans le canon d’un genre très précis. La Campagne Impériale, par exemple, propose plusieurs canons esthétiques au sein de la même partie : épopée héroïque façon Seigneur des Anneaux et arnaques gritty façon Le Cycle des Epées. Diplomatie de cour et combat dans les montagnes. Commerce le long du Reik et match de Rotzball. Il faudrait en fait plusieurs PbtA pour jouer cette seule campagne.

Mais il est normal que ça ne puisse pas tout faire, car, comme dirait l’autre, « system does matter » !!

*Il faut dire aussi que mes joueurs sont très conservateurs et que j’ai du mal à les amener au-delà des terrains très battus du Basic Role Playing system (d100), qu’entre parenthèses, je déteste, et le d20 que j’adore, mais que j’ai simplifié à ma sauce…

Derrière la porte ? La magie du jeu de rôle !

L’autre jour j’ai masterisé une partie chez une amie, et sa mère était là. C’est toujours un peu gênant de jouer devant des gens qu’on ne connait pas, a fortiori qui ne connaissent rien au jeu de rôles. Quelles blagues peut-on faire ? Doit-on expliquer qu’on a tranché la tête de l’orc « pour de faux » ?  Que ces rituels sataniques sont « le canon esthétique d’une bonne partie de Cthulhu » ?

Mais de fait, on a vite oublié sa présence. La maman était très discrète, assise dans un coin, probablement en train de lire un livre… Les joueurs ont investi l’institut Brompton, ont commencé à fouiller un peu partout, mais ont bloqué sur une porte blindée. Il était tard, on s’est arrêtés là…

Il y a quelques jours, nouvelle partie, j’ai revu cette amie et on a reparlé de la partie. Sa mère était  rentrée en Normandie. Mais avant de partir, elle avait demandé à sa fille :

 – J’aimerais quand même bien savoir ce qu’il y a derrière cette porte…

Magie du jeu de rôle.

Mentez à vos joueurs !

Cette semaine, j’ai menti à mes joueurs. Deux fois. A deux groupes : des vieux briscards, et des débutants. J’ai une excuse : je ne fais qu’appliquer les conseils de John Wick, l’homme qui a écrit deux grands jeux de rôles, La Légende des 5 Anneaux et Les Secrets de la 7ème Mer.

Depuis 40 ans que notre passion existe, elle a fini par faire émerger – comme n’importe quelle forme d’art – ses propres clichés. L’auberge où l’on va chercher des renseignements. Le grand méchant de fin de niveau (vite récupéré par le jeu vidéo). Le portail que les cultistes ouvrent à la fin de chaque scénario Cthulhu…

Mais comme l’explique John Wick dans Dirty MJ 1&2, il faut bousculer les joueurs. Parce que ces clichés, ils les connaissent par cœur. Si vous jouez à Star Wars, dit John Wick, trompez vos joueurs : faites de Dark Vador un gars sympa. Ou un idiot. Sinon c’est l’ennui assuré.

Cette semaine j’ai eu l’occasion de tromper deux fois mes joueurs.

Goblins love their children too…

La tribu des Nez Sanglants

Quand il y a 10 ans, j’ai demandé à mes joueurs ce qu’il voulait jouer, ils m’ont répondu comme un seul homme : Donjons et Dragons. J’ai adapté la Campagne Impériale de Warhammer à cette demande, mais s’ils ont vu rapidement des dragons, pour le reste, ils ont été patients : 10 ans avant de voir un donjon, pour être précis, la cité naine de Khadar Khalizad. Des mines abandonnées, un dragon, des gobelins ? Nous voilà enfin en terrain connu. Vraiment ? Plutôt en terre inconnue ! Depuis le début, j’avais prévenu : oubliez tout ce que vous savez ! Un dragon n’est pas un dragon, un gobelin n’est pas un gobelin ! Histoire de faire perdre les repères à mes vieux briscards de joueurs, du genre Gobelin = 1d8 points de vie, attaque à +1, touché sur un 12 ou plus…

Au contraire, j’ai fait de mes gobelins des guerriers, puissants et intelligents, mais surtout dotés d’une âme. Ils sont plus ou moins organisés. Ils sont assez bêtes mais ont une forme d’instinct. Ils ont des femmes, des enfants, des peurs et des désirs, ils jouent une forme rudimentaire de musique… Et tout d’un coup, ce n’est plus des XP potentiels, mais une possibilité de négocier. Ce qui a donné un moment formidable de roleplay. Un simple nautonier, conducteur de péniche, s’est métamorphosé en Seigneur de la Mort.

Et ça a marché ; un meilleur souvenir pour mes joueurs, probablement, que l’extermination méthodique de la tribu des Nez Sanglants…

« Ce qu’il y a de plus miséricordieux au monde,
c’est, je crois, l’incapacité de l’esprit humain
à comprendre tout ce qu’il renferme… » 

Cérémonie secrète à Arkham, Ma

Autre exemple le lendemain, en faisant jouer un toute autre genre de joueurs à l’Appel de Cthulhu. Dans ce scénario de Tristan L’homme, un ami des PJs, Greenberg, a disparu. Leur enquête les mène évidemment vers une bande de cultistes dans les environs d’Arkham, qui opèrent sous la façade d’une honnête institution pour aveugles, où ils ourdissent des plans pour ouvrir un portail ultra dimensionnel afin de ramener, probablement, un Grand Ancien. Ils se sont d’ailleurs rendus compte des investigations des joueurs et ont contre-attaqué en enlevant un PJ.

C’est donc l’attaque en règle. Et les PJs prennent rapidement le dessus : attaque à l’acide d’une avocate cultiste, étranglement d’un vieil écrivain passionné de livres occultes, et l’ancien colonel en retraite tué à coups de poing. Vient ensuite le classique interrogatoire : « Qu’avez-vous fait de Greenberg ? »…

Visage étonné du MJ :

– « Ce n’est pas vous qui l’avez ? » répond le cultiste…

Et soudain, la stupéfaction sur le visage de mes joueurs : et si on s’était trompés ?

Empire of Imagination

 

Empire of Imagination

On poursuit la recherche de nos racines rôlistiques en lisant cet été, au pays de Nicolas Machiavel (qui, comme chacun sait n’est pas en Tilée car en mission auprès du Graf de Middenheim), la biographie de Gary Gygax : Empire of Imagination, par Michael Witwer.

Bien sûr, c’est dans la catégorie très américaine des biographies « autorisées » et donc hagiographiques mais ça n’en demeure pas moins intéressant sur les coulisses de la genèse du jeu de rôle. Non, Gary Gygax, n’a pas tout inventé et on commence à le savoir*, mais sans lui, rien ne serait arrivé. Comme disait Stanley Kubrick, il ne suffit pas d’avoir une idée, il faut surtout la réaliser**.

C’est ce que fera Gary Gygax sur les bases des Braunstein napoléoniens de David A. Wisely, et de Blackmoor, ce Braunstein médiéval fantastique qui se poursuit de partie en partie avec les mêmes personnages. Il ne les a pas inventés, ces concepts, mais c’est lui qui mettra son talent d’écriture et de game designer, mais aussi ses économies, sa santé à écrire et à formaliser Donjons&Dragons.

Au passage on n’apprendra aussi que le grand homme était Témoin de Jéhovah et Libertarien, (en gros un peu plus libéral, économiquement, que Donal Trump), ce qui n’étonnera pas ceux qui s’intéressent à philosopher un peu autour du jeu de rôle. C’est à dire qu’il n’est pas neutre que D&D pousse le joueur à progresser (les niveaux) ; qu’en accumulant de l’or, on progresse plus vite, etc.

Autre anecdote peu connue : quand D&D s’est mis à gagner des mille et des cents PO, Gygax a eu son petit passage Hollywoodien : prostitués, marijuana et cocaïne (habituellement appelés Cure Light Wounds). Enfin le livre donne un éclairage intéressant sur l’aspect capitalistique de l’affaire. Pour se développer, il faut des associés, et, ami ou pas, ça finit mal. Ça finira en procès contre l’ami Arneson (Arneson gagnera) et contre les frères Blume (là Gygax perdra carrément son bébé, TSR, la maison d’édition)…

On peut désormais s’attaquer à Playing at the World, de Jon Peterson, la Bible, parait-il…

 

* « Of Dice and Men: The Story of Dungeons & Dragons and The People Who Play It » de David M Ewalt ou chez nous, « L’Histoire de Dungeons & Dragons, des origines à la 5ème édition », de Fabrice Sarelli

** Kubrick : « Hélas, les idées ne font pas les bons films. Il faut des idées dans les bons films, mais cela demande beaucoup de créativité artistique pour incarner fortement une idée… »

 

 

L’Histoire de Dungeons & Dragons

C’est un tout petit livre (140 pages) mais un livre passionnant sur les premières années de notre hobby : les années Braunstein, Blackmoor, Chainmail. Si ces mots ne vous disent rien, c’est que vous ne connaissez pas bien la genèse du jeu de rôle.

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Fabrice Sarelli, Monsieur Hexagonal…

 

Jetez-vous donc sur cette monographie, uniquement consacrée à D&D, mais sur ses cinq éditions US. Et si Fabrice Sarelli est moins pertinent sur les dernières éditions, il est passionnant sur les débuts. Et pour cause, comme il l’autoproclame, Fabrice Sarelli – avant de fonder Hexagonal et de traduire en français JRTM, Vampire, et Shadowrun – fait partie des rôlistes de la première heure de la Rue d’Ulm*.

C’est donc la première moitié de cette Histoire de Dungeons & Dragons qui est passionnante, ou comment des wargamers, un peu par hasard, ont inventé un loisir de millions de personnes, qui va bientôt fêter ses cinquante ans. Par hasard, et même un peu contre leur volonté.

David A. Wisely, le papa du Braunstein…

Première anecdote : quand David A. Wesely décide en 1968, de lancer une première partie de son wargame 1 :1 (c’est à dire 1 figurine = 1 homme), dans un univers napoléonien et germanique fictif, situé dans la petite ville de Braunstein, la première partie est un cauchemar : 22 joueurs et des apartés interminable avec l’Arbitre pour discuter des points de règles. Mais tout le monde a passé une super soirée. Sauf David Wesely. Les parties suivantes, il réduit le nombre de participants et fixe des règles précises. Ça marche mieux, mais l’ambiance de la première partie n’est plus là. Les joueurs finissent par l’avouer : ils ont aimé ce joyeux bordel, les interactions, et cette folle liberté qui n’existe pas dans le wargame. Bientôt, Dave Arneson va participer à un de ces Braunstein, et apporter quelques changements. Il crée un cadre médiéval fantastique nommé Blackmoor, propose que la partie suivante reprenne là où l’on s’était arrêtés, et que les joueurs gardent leur personnage de partie en partie… et il va surtout inviter un ami, Gary Gygax, et utiliser les règles de combat rédigés par celui-ci, Chainmail, pour améliorer Blackmoor. Le jeu de rôle était né.

Le set originel de D&D, vous en avez sûrement un à la maison, crayonné à la cire… 

Deuxième anecdote : quand Gygax et Arneson impriment leurs premières règles de D&D, il leur faut des dés à 20 faces. En effet, celles-ci n’utilisent que des d20 et des d6. Mais le d20 est une rareté, jusqu’à ce que les fondateurs de TSR ne découvrent un set de dés éducatifs qui permet de faire découvrir aux enfants les solides de Platon : d4, d6, d8, d12, d20. Plutôt que dépuncher le tout, les fondateurs de TSR ne les introduiront dans le premier supplément Greyhawk… ils fournissent également un crayon de cire pour noircir les chiffres des dés qui sont vendus sans marquage.

 

*Intéressante vidéo ici sur TV Roliste :  https://www.youtube.com/watch?v=_to2f37ePzM

L’Histoire de Dungeons & Dragons, des origines à la 5ème édition, de Fabrice Sarelli, éditions OhMy Game
Disponible dans les bonnes boutiques, ou là : http://oh-mygame.com/fr/p/3006037-histoire-de-dungeons-dragons.html#ans

Le Maëlstrom

 

Je viens de lire le livre de Romaric Briand, podcasteur et auteur de jeu de rôles.  Etant un joueur « classique », je joue depuis 1980 principalement à D&D, fais donc plutôt partie de des gens qui ont développé le JDR en France que de ceux qui jouent à des jeux pointus, narrativistes, forgiens, etc. que promeut Romaric et sa Cellule.

Mais néanmoins je pense, comme Briand, que notre loisir mérite désormais de sortir de la vision « simple défouloir pour geek » et autres « on est juste là pour se marrer ». C’est comme si le football, le cinéma américain ou la BD, s’interdisaient de produire des réflexions intellectuelles. Dans le sens noble du terme, le jeu de rôle peut désormais – aussi – être regardé sous cet angle.

C’est ce qui m’a intéressé dans les thèses de Romaric Briand, et en voici donc un petit résumé.

 

Le simulacre

Je suis très attaché à la notion de simulacre, que je n’avais pas réussi à théoriser aussi précisément que dans le Maelström. Pour moi, on ne peut que jouer qu’une extension de soi-même en jeu de rôle. C’est aussi ce que dit Briand. Les joueurs qui jouent des femmes et les joueuses qui jouent des hommes aussi (même si on peut le faire, le temps d’un one shot), ça ne marche pas. De même, des joueurs bavards qui jouent des taiseux, c’est souvent ridicule.

On comprend l’intention : le jeu de rôle étant sans limite, le joueur profite de cette liberté pour exprimer ses fantasmes, quels qu’ils soient. Mais ce ne sont que des fantasmes, qui, s’ils ont une réalité dans le subconscient du joueur, amènent du ridicule à la table. Soient parce qu’ils créent une gêne : quand on demande (par exemple) à une joueuse hétérosexuelle de séduire, avec son PJ de Guerrier, hétéro lui aussi, la patronne de la taverne, on crée une ambiguïté sexuelle qui peut être drôle et/ou sexy, mais qui nous fait un moment sortir de cette alter-réalité partagée qu’est le jeu de rôles… et on le sait, tout ce qui fait « décrocher » de cette autre réalité est néfaste à la partie…

La suppression des compétences intellectuelles

En lien avec ci-dessus, je suis toujours gêné par les jets de négociation, d’intelligence, etc. Si les joueurs ont bien interprété leurs personnages, pourquoi lancer un dé ? Certes, le jeu de rôle moderne a tendance à promouvoir cette approche « ne jetez les dés que quand vos personnages ont un risque de rater », mais dans ce cas, pourquoi garder ces compétences ? Elles incitent, joueurs et MJ, à faire ces jets.

Le « ghetto des passionnés » (l’hermétisme p144)

L’idée que les joueurs de JDR enferment eux-mêmes leur loisir en étant peu pédagogues, élitistes et passionnés est une idée qui m’est chère depuis longtemps. On retrouve ça ailleurs (joueurs de figurines Warhammer, golfeurs, turfistes, joueurs de poker, …) : autre secteurs qui créent des niches absconses pour l’extérieur.

Jouer les règles

Même si je ne l’ai jamais pratiqué pas moi-même, j’aime son idée que, pour tester un jeu, on devrait vraiment jouer la règle au moins une fois. Ne serait-ce que pour « obliger » les jeux à s’améliorer par une forme d’épuration progressive en ôtant ce qui ne sert à rien. Ou encore l’idée que les jeux devraient donner plus clairement le ton en fournissant un canon esthétique ; « voilà comment, dans notre esprit, on doit jouer à XXX ». D’ailleurs, de plus en plus de jeux proposent cette option.

System does matter (p254)

Même si ce n’est pas lui qui a développé cette idée, (c’est Ron Edwards, sur The Forge, traduction ici)  elle s’est imposée petit à petit. J’aime beaucoup l’exemple qu’il donne (p137) Un joueur à qui on donnerait seulement les règles de Vampire saurait-il jouer à Vampire ? Non, car le système, c’est à la fois le système de résolution (les règles) mais aussi l’ambiance, le canon esthétique, le scénario-type, etc.

Le mieux étant évidemment de lire le livre, et vous pourrez le trouver ici.

 

Des PNJ pour D&D en 30 secondes

pnj-30

Une des problèmes de Donjons & Dragons, c’est qu’il est compliqué d’improviser un PNJ, vu la complexité des règles. Une complexité bien pratique pour élaborer nos Personnages Joueurs, intégrant parfaitement les subtilités de l’Inné et de l’Acquis – le fameux carac+compétence.

Mais voilà, nos PJ veulent soudain affronter (intellectuellement ou physiquement, peu importe) un personnage que vous avez placé là juste pour le décor, ou pour révéler un indice. Dans l’Appel de Cthulhu c’est facile : un chirurgien doit avoir de bonnes chances (60%) de se servir d’un couteau, et un bibliothécaire de très petites chances de faire de même (15%).

Traduire cela à D&D est moins intuitif, mais je n’échangerais pour rien au monde mon d20 contre des dés à pourcentage, au moins dans un univers médiéval*. J’ai donc suivi, en quelque sorte, les conseils de John « Dirty MJ » Wick qui suggère de faire des mini-fiches avec un nom, un lieu, un trait de caractère, et deux ou trois compétences clés.

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20% de chance pour Conan d’être d’accord avec Derrida pour dire que les théories du signe s’inscrivent dans le courant poststructuraliste, et donc s’opposer au structuralisme saussurien…

Mais surtout, j’ai décidé de faire un pense bête « PNJ en 30 secondes » qui me permet d’ajuster immédiatement la difficulté de la rencontre. Je ne me suis intéressé qu’aux données clefs : PDV, ÇA, Jet de Sauvegarde, et Bonus à l’Attaque.

Bien sûr, c’est caricatural ; le but n’est pas de dessiner le grand méchant de votre histoire mais bien de gérer cette rencontre sans perdre de temps…

Vous retrouverez ce tableau dans ma synthèse Aide-mémoire, où j’ai mis – à mon sens – les tables les plus importantes pour D&D …

* Le d100 me semble parfait pour l’époque contemporaine, où l’on est habitué à mesurer en %. Je trouve qu’on perd du rêve si l’on dit que Jochen à 70% de toucher sa cible. Je préfère lui dire que la difficulté est de 20, voire ne rien dire du tout. C’est cette zone d’incertitude (même si le joueur peut la calculer) qui fait la magie des systèmes comme D&D, Vampire, ou le Roll& Keep.